La justice congolaise a franchi un nouveau cap dans la lutte contre l’impunité. Ce mardi 20 mai 2025, la Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo a condamné l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo à 10 ans de travaux forcés et à 5 ans d’inéligibilité dans le cadre du scandale financier autour du projet agro-industriel de Bukanga Lonzo.
Un projet ambitieux devenu fiasco financier
Lancé en grande pompe sous le gouvernement Matata, le parc agro-industriel de Bukanga Lonzo devait marquer un tournant dans la stratégie agricole du pays. L’objectif était clair : relancer la production vivrière locale, réduire la dépendance aux importations alimentaires et créer des emplois dans une zone à fort potentiel agricole, située à environ 250 km de Kinshasa.
Mais derrière cette vitrine moderne, le projet a rapidement pris des allures de gouffre financier. Selon l’arrêt de la Cour constitutionnelle, 279 millions de dollars américains avaient été mobilisés par le Trésor public pour la mise en œuvre du projet. Pourtant, seuls 34 millions ont été effectivement utilisés pour les activités prévues. Une somme de 156 millions de dollars est soupçonnée d’avoir été détournée.
L’IGF avait déjà tiré la sonnette d’alarme
L’Inspection Générale des Finances (IGF), dans son rapport explosif publié il y a deux ans, avait pointé de graves dysfonctionnements : surfacturations, contrats opaques, prestations fictives, et absence de mécanismes de suivi. D’après ses projections, le projet aurait pu atteindre l’autofinancement dès sa deuxième année, si les ressources avaient été correctement utilisées.
Ce rapport avait été l’un des éléments déclencheurs de l’ouverture d’une procédure judiciaire contre plusieurs anciens hauts responsables, dont Matata Ponyo, qui a toujours clamé son innocence, parlant d’un « acharnement politique ».
Un site abandonné, des espoirs envolés
Aujourd’hui, le parc de Bukanga Lonzo fait triste figure. Envahi par la broussaille, l’infrastructure est largement abandonnée. Le site est bordé à l’est par la rivière Lonzo et à l’ouest par la rivière Kwango, deux cours d’eau qui symbolisent désormais l’isolement d’un projet pourtant censé irriguer le développement agricole de toute une région.
Malgré cette condamnation historique, des voix s’élèvent pour réclamer que les autres responsables impliqués soient également traduits en justice, et que des efforts soient faits pour récupérer les fonds détournés.
Vers un tournant judiciaire ?
Avec ce verdict, la Cour constitutionnelle envoie un signal fort : même les plus hautes figures de l’État peuvent désormais rendre compte de leur gestion. Reste à savoir si cette décision marquera un véritable tournant dans la gouvernance publique et la lutte contre la corruption, ou s’il s’agira d’un cas isolé dans un paysage judiciaire encore trop indulgent face aux crimes économiques.
Rédaction